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Colloque Nîmes - 17 - 20 septembre 2009

Colloque Nîmes


Chacun sait que les juristes sont de grands malades. Ils sont malades des classifications, des distinctions, des définitions.

Comme un entomologiste classe les papillons par taille, par espèce, par couleur, le juriste classe les institutions, les notions, les concepts. Il est toujours gêné quand l’une de ces notions ne rentre pas dans les classifications existantes : il doit alors admettre l’incomplétude des classifications qu’il a élaborées et se doit recourir au sui generis, dans lequel on voit souvent un « paresseux refus d’analyse »[1].

La question du statut de l’animal illustre cette possible insatisfaction : l’animal est-il un bien ? l’animal est-il un bien comme les autres ? serait-il possible que l’animal ait des droits ? On mesure par là que la question du statut de l’animal est fondamentale : elle renvoie en effet à la distinction entre les personnes, sujets de droit, et les biens, objets de droit. Cette distinction est fondatrice de notre société. On peut vendre une vache, pas un homme.

Reste que l’opposition entre les hommes et les biens n’est sans doute pas aussi absolue qu’on pourrait le croire. Elle doit être relativisée en deux sens : d’une part, les éléments de la personne humaine se patrimonialisent. Le nom, l’image, les organes, le génome sont parfois analysés comme de véritables biens sur lesquels leur titulaire jouit d’une véritable exclusivité[2]. D’autre part, et cela nous intéresse directement, certains biens tendent à se personnifier : s’ils n’ont pas à proprement parler la personnalité juridique, ils bénéficient d’un régime juridique très protecteur parce qu’ils ont une forte valeur subjective. Tel est le cas des animaux[3]

Dans ce contexte de relativisation entre les personnes et les biens, le juriste aficionado ne peut pas rester indifférent à la question de la qualification juridique de l’animal. Il en devine les enjeux. Si l’animal est un bien, un simple objet de droit, son propriétaire en a l’usus, le fructus et l’abusus. Il peut donc, si bon lui semble mais dans le respect de la réglementation en vigueur, organiser des courses de toros. Si l’animal tend à se personnifier, il est plus dur de tolérer qu’il puisse être victime de mauvais traitements, fussent-ils infligés par son propriétaire. En tant qu’être sensible, il doit être protégé des abus de son maître.

Soucieux de ne pas excéder le temps de parole qui m’est imparti, je voudrais dans un premier temps brosser l’évolution historique sur le statut de l’animal pour montrer comment on est passé de la notion d’ « animal-objet » à celle d’ « animal-être sensible ». Dans un second temps, je vous dirai pourquoi, d’après moi, cette évolution est critiquable. En d’autres termes, l’évolution du statut de l’animal (I) précédera son appréciation (II).

I. – L’évolution du statut juridique de l’animal n’est pas achevée. On voit en effet s’opposer deux forces contraires qui n’ont pas encore trouvé leur point d’équilibre. La première consiste à insister sur la seule valeur patrimoniale de l’animal pour n’y voir qu’un bien parmi d’autres ; la seconde tend à considérer l’animal comme un être sensible au point, peut-être, de lui reconnaître des droits et de le personnifier.

A. - Le Code civil de 1804 illustre la première force. L’animal y est considéré comme un bien meuble. Son cas était expressément envisagé par l’article 528 qui, à l’époque, disposait que « sont meubles par leur nature les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, comme les animaux, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère, comme les choses inanimées ». L’animal est donc un meuble, parmi les autres.

Cette conception s’explique par des considérations historiques : à l’époque, l’animal est perçu comme un « outil » qui sert à produire du lait ou de la viande, mais aussi à se déplacer (songeons aux fiacres) ou à se défendre (songeons à l’armée impériale). A cette époque, le droit de propriété jouit d’un important prestige ; il est considéré comme un droit absolu et nul ne songerait à venir limiter les pouvoirs du propriétaire sur sa chose. On en déduit que le maître peut faire ce que bon lui semble de son bien. De la même façon que le propriétaire d’un terrain peut le laisser en friche, le propriétaire d’un animal peut en faire ce que bon lui semble. La sensibilité de l’animal est tue ; seule compte sa valeur marchande.

B. - Progressivement, une seconde conception de l’animal va se faire jour. Elle va insister sur la sensibilité de l’animal au point de lui reconnaître des droits. Cette seconde conception n’a pas été bâtie en un jour. Elle est ponctuée d’étapes et je voudrais en évoquer quatre.

* La première est celle de la loi Gramont votée le 9 juillet 1850. Cette loi punit ceux qui infligent « publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques ». Cette loi n’est pas une loi anti-corrida. Elle a été votée pour punir notamment les cochets qui, en plein Paris, maltraitaient leurs chevaux. Quarante cinq ans après son entrée en vigueur, elle a cependant été appliquée à la corrida au terme d’un raisonnement qui a permis au juge de la Cour de cassation de dire que le toro de combat est un animal domestique[4]

* La deuxième étape est la promulgation du nouveau Code pénal en 1992. Le délit de cruauté envers les animaux  n’est pas classé dans le livre consacré aux atteintes aux biens… d’où il résulte nécessairement que l’animal n’est pas un bien. Les auteurs sont alors nombreux à dénoncer l’incohérence entre le Code civil qui considère l’animal comme un bien et le Code pénal qui ne retient pas cette qualification. Ils ajoutent que de nombreux droits étrangers ont clairement affirmé que les animaux n’étaient pas des choses[5] et militent alors pour que l’animal soit extrait de la sphère des biens.

* La troisième étape est une loi du  6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux. Cette loi, défendue par la Ligue française du droit des animaux, a proposé une nouvelle rédaction de l’article 528 : il s’est agi de démarquer l’animal de la chose inanimée en lui retirant la qualification d’objet ou de corps que lui avait donné la rédaction initiale du Code civil. Depuis cette loi, « sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre… ». C’est donc dire, pour qui sait lire entre les lignes, que les animaux ne sont pas des corps. Cette rédaction a été applaudie par les défenseurs de la cause animale[6]. Elle ne change pourtant pas grand chose car, même distingués des choses inanimées, les animaux n’en restent pas moins des biens susceptibles d’appropriation[7].

* La quatrième et dernière étape est un rapport sur le régime juridique de l’animal remis au ministère de la Justice le 10 mai 2005. Ce rapport, très orienté puisque commandé à la trésorière de la Ligue française du droit des animaux, propose d’en finir avec la conception, présentée comme archaïque et obsolète, du Code civil.

A cette fin, le rapport préconise une définition légale de l’animal : l’animal serait ainsi « un être vivant doué de sensibilité » ou  « un bien qui fait l’objet d’une protection particulière édictée dans son intérêt propre ». A mon sens, aucune de ces définitions n’est satisfaisante : la première est trop large car l’homme est lui aussi « un être vivant doué de sensibilité » ; la seconde est insatisfaisante car elle fait dépendre une qualification juridique de l’existence d’une législation protectrice. Dira-t-on, constatant que la loi ne protège pas les termites ou les acariens, qu’ils ne sont pas des animaux ?

Ayant, mal, défini l’animal, le rapport en bâtit ensuite le régime. Deux pistes d’évolution sont alors préconisées : soit extraire l’animal de la sphère des biens et substituer au binôme personne/bien un trinôme : personne/animal/bien ; soit laisser l’animal dans la sphère des biens en les considérant comme des « biens protégés » et en substituant à la distinction meuble/immeuble une trilogie animal/meuble/immeuble[8].

Nous en sommes là en ce début de XXIème siècle. Le régime de l’animal a pu paraître si disputé que le projet de réforme du droit des biens remis au Président de la République le 28 novembre 2008 adopte, à propos de l’animal, une situation d’attente. L’article 521 du projet dispose que : « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des choses corporelles ». Les animaux sont donc soumis au régime des choses corporelles, sans en être vraiment. Alors que penser de cette évolution, de ce tiraillement quant au statut de l’animal ?

II. – L’appréciation que je porte sur le statut de l’animal est que le problème est sans doute mal posé. Je veux dire par là qu’il me paraît tout autant dangereux d’être séduit par la tentation de l’anthropomorphisme en conférant des droits à l’animal (A) que de voir en lui qu’une valeur marchande, dépourvue de sensibilité (B).

A. – La tentation de l’anthropomorphisme est portée par une thèse célèbre. Le professeur J.-P. Marguénaud propose ainsi de doter l’animal d’une « personnalité juridique finalisée ». Il relève en effet que l’animal est le seul bien sur lequel les pouvoirs du propriétaire sont limités dans l’intérêt même de l’animal. C’est donc dire que l’animal est titulaire de droits qu’il peut opposer au propriétaire[9]. C’est donc dire que le propriétaire doit respecter le droit de son animal à bénéficier de conditions de vie favorables.

Je ne pense pas que cette conception soit exacte. En effet, l’animal n’est pas protégé pour lui, en raison de sa nature propre, mais parce que la sensibilité humaine accède à sa souffrance et consent à lui étendre le bénéfice de la loi[10]. En d’autres termes, en protégeant l’animal, l’homme protège en réalité les intérêts qu’il lui porte. De la même façon qu’un monument historique est protégé en raison des intérêts culturels que la communauté y attache, limitant ainsi les prérogatives de son propriétaire, l’animal est protégé en raison des intérêts affectifs que la communauté lui porte. Mais nul n’a jamais songé à dire que le monument historique devait bénéficier de la personnalité juridique. Il en va de même des animaux. Ils restent des biens.

B. - Le rejet de la personnification de l’animal[11] ne signifie pas pour autant que l’animal soit un bien comme les autres. Tout en étant favorable à laisser l’animal du côté des biens, je suis pleinement convaincu que l’animal n’est en rien comparable à une table ou à une voiture. Ce serait d’ailleurs profondément méconnaître le droit des biens que de penser que la qualification de bien emporte un régime unique et confère des droits pleins et entiers au propriétaire.

D’une part, le droit de propriété n’est plus perçu, comme c’était le cas au XIXème siècle, comme un droit subjectif conférant à son titulaire les pleins pouvoirs sur sa chose. La doctrine, Josserand en tête, a montré que le droit de propriété ne devait pas être mis en œuvre dans le seul intérêt du propriétaire, en vue de satisfaire ses seuls intérêts égoïstes. Le droit de propriété a également une fonction sociale, c’est-à-dire qu’il doit être exercé conformément à l’intérêt général. Que l’on juge donc la souffrance animale intolérable socialement et l’on pourra limiter les prérogatives du propriétaire sur l’animal.

D’autre part, être qualifié de bien n’implique en rien un régime juridique indifférencié. En effet, même si Carbonnier pouvait écrire que le « droit a recouvert le monde bariolé des choses d’un uniforme capuchon gris, la notion de bien »[12], on sait bien que de nombreux biens bénéficient de régime particulier : l’immeuble n’a pas le même régime que le fonds de commerce ; la police d’assurance-vie n’a pas le même régime que les meubles meublants ; la part de société n’a pas le même régime que le fonds de terre. Dans ce contexte de diversité, rien ne s’oppose à ce que l’animal soit doté d’un régime particulier.

*          *          *

En guise de conclusion, la qualification juridique de l’animal est une question importante. On y voit s’illustrer les difficultés du juriste à classer l’animal dans les catégories pré-existantes. J’ai cependant le sentiment que la qualification juridique de l’animal n’est pas essentielle : on n’aime pas plus son chat ou son poisson rouge que le code civil le qualifie de meuble ou d’être sensible. De la même façon, la tauromachie n’est, à mon sens, pas directement menacée par cette qualification de l’animal. L’essentiel me paraît demeurer dans la force de l’aficion, dans la vigueur de nos racines culturelles auxquelles nous manifestons, par notre présence, notre indéfectible attachement.

Pr. Jean-Baptiste Seube

Doyen de la faculté de droit de La Réunion


[1] Ph. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Geutier, Les contrats spéciaux, 3ème éd., Defrénois 2007, n°19.

[2] Par exemple, Cass. civ. 1ère, 11 décembre 2008, RTD civ. 2009, p. 342, obs. Th. Revet ; JCP 2009, éd. G, II, 10025, note G. Loiseau ; RDC 2009, p…., obs. Y.-M. Laithier ; F. Zénati-Castaing et Th. Revet, Manuel de droit des personnes, PUF2006, n°247 et s.).

[3] La doctrine évoque alors les « biens objectifs » et les « biens subjectifs » (R. Libchaber, La recodification du droit des biens, Le Code civil, Livre du bicentenaire, Dalloz, Litec 2004, p. 296 et s., spéc. n°35).

[4] Cass. crim., 16 février 1895, D. 1895, I, 269, rapp. Acarias ; voir aussi, Cass. crim., 17 octobre 1895, DP I, 543 ; Cass. crim., 4 novembre 1899, DP 1901, 1, 88 ; Cass. crim., 21 novembre 1903, DP 1906, 5, 65 ; Ch. réunies, 13 juin 1923, DP 1923, 1, 119 ; Cass. crim., 23 mars 1937, I, 908. Sur cette évolution, D. Mainguy, J.-B. Seube, F. Vialla, Droit et tauromachie, Mélanges M. Cabrillac, Litec 1999, p. 757, n°11 et s.

[5] Code civil autrichien, 6285,a ; Code civil suisse, art. 641 ; BGB, art. 90.

[6] S. Antoine, La loi n°99-5 du 6 janvier 1999 et la protection animale, D. 1999, chron., p. 167.

[7] F. Zénati-Castaing, Th. Revet, Les biens, 3ème éd. 2008, n°8-e ; Th. Revet, RTD civ. 1999, p. 479, obs. Th. Revet ; R. Libchaber, Perspectives sur la situation juridique de l’animal, RTD civ. 2001, p. 239).

[8] Pour une présentation de ce rapport, J.-B. Seube, Chronique de droit des biens, Droit et patrimoine novembre 2005, p. 95.

[9] J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, PUF 1992, Préf. Cl. Lombois. Du même, La personnalité juridique des animaux, D. 1998, chron., p. 205 ; La protection du lien d’affection envers un animal, D. 2004, chron., p. 3009.

[10] En ce sens, R. Libchaber, Perspectives sur la situation juridique de l’animal, RTD civ. 2001, p. 239.

[11] A.-M. Sohm-Bourgeois, La personnification de l’animal, une tentation à repousser, D. 1990, chron., p. 33.

[12] J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2, Les biens, les obligations, PUF, col. Quadrige 2004, n°707).