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Colloque Madrid- 14 - 16 mai 2010

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Si je laisse aux spécialistes du droit le problème de la légalité de la corrida, je voudrais parler aujourd’hui de sa légitimité fondée sur sa dimension culturelle qui peut, en partie, la fonder. C’est en effet une des particularités de la corrida que d’avoir fertilisé, depuis ses origines, tous les champs artistiques et littéraires comme aucune autre pratique, quelle soit sportive ou artistique.

En préambule, j’évoquerais le cas de la ville de Nîmes parce qu’elle me semble la plus représentative de cette réalité. Daniel-Jean Valade y est adjoint au maire avec cette qualité : adjoint à la culture et à la tauromachie. Songerait-on à nommer un adjoint à la culture et à la boxe, un adjoint à la culture et au cyclisme, ou encore un adjoint à la culture et à la danse ?  Nîmes compte un musée taurin qui possède les collections les plus riches du monde. C’est un grand regret et en même temps étonnement  que l’Espagne, le berceau de la corrida et son pays par excellence, ne se soit pas encore dotée d’un véritable musée national de la tauromachie dans toutes ses dimensions : ethnologique, historique, technique, anthropologique, artistique, etc. Certes, il existe de nombreux musées taurins, et certains passionnants et émouvants comme celui de Madrid, mais ils sont tous de dimensions restreintes ou locales : se pourvoir d’un grand musée national serait peut-être là une manière d’assoir la tauromachie officiellement comme pratique culturelle majeure et un élément à part entière et objectif de l’histoire du pays. Pour en revenir à Nîmes, pas de feria sans de nombreuses manifestations liées à la tauromachie : expositions dans toutes les disciplines, colloques – nous en avons organisé un certain nombre avec Francis Wolff – journaux spécialisés, publications, clubs taurins, etc.… Lors d’un séjour à Nîmes, Pedro Romero de Solis, l’éminent professeur sévillan de sociologie, avait été frappé de ce foisonnement. C’est peut-être parce que nous Français avons vécu, si je puis dire, de l’extérieur, cette pratique avant de l’avoir adoptée dans certaines villes du Midi, que nous ne la vivons pas de l’intérieur comme vous, les Espagnols, qu’elle a autant fasciné et inspiré les artistes, les écrivains et les philosophes de l’hexagone…

Avant de rappeler l’origine et la nature de ces liens, j’évoquerai brièvement les liens historiques entretenus par la tauromachie avec le monde de la culture. Nous essaierons ensuite de préciser en quoi son appartenance à la sphère culturelle peut fonder une légalité de la pratique taurine et s’intègre aux arguments développés par Francis Wolff dans son livre «  50 raisons de défendre la corrida ».

Bref panorama historique des liens particuliers entretenus par la tauromachie avec les autres disciplines, artistique ou littéraire

 Depuis sa constitution dans sa forme actuelle, la corrida a donc entretenu des rapports très étroits avec le monde des Arts et des Lettres. En France, au début du XIX° siècle, la génération romantique avait instauré l’Espagne en territoire des passions, de la sensualité, où ressourcer nos mœurs décadentes ou trop cartésiennes. Les Romantiques français ont vu dans le spectacle de la corrida un lieu de ressourcement esthétique, une matière féconde à des récits qui ont fini par se constituer en genre à part entière : celui de la littérature tauromachique. Un d’entre eux, Théophile Gautier, fixa la trame romanesque pour bien d’autres œuvres à venir avec Militona, roman qu’on trouve dans sa traduction espagnole sur les rayons du Corte Inglès dans une édition de poche, mais qu’on ne trouvait en France jusqu’à récemment que sur les rayons de certaines bibliothèques universitaires… Mais l’héroïne la plus tauromachique est bel et bien Carmen, doublement française par ses créateurs, l’écrivain Mérimée et le compositeur Georges Bizet. Si la statue de Carmen accueille sur les bords du Guadalquivir à Séville  les toreros sortis a hombros par la Puerta Grande, c’est  l’air de la Carmen de Bizet qui accompagne en France leur entrée en piste… Outre  la fascination des artistes pour les protagonistes de l’arène, comme chez les graveurs Goya et Gustave Doré, ou plus tard chez le peintre impressionniste Manet, les acteurs de la corrida ont entretenu des liens d’amitié avec les hommes de lettres ou d’art : on connaît les amitiés célèbres entre Garcia LLorca et Sanchez Mejias,  entre le poète Français Jean Cocteau et Bombita. Mais, bien évidemment, c’est surtout après la révolution esthétique de Belmonte que les artistes se sont rapprochés des matadors,  comme Henry de Montherlant, grand écrivain français de la corrida et le seul à avoir mis à mort en piste un novillo (c’était à Albacete en 1914), ou Hemingway, d’abord attaché à Villalta au point de donner son prénom, Nicanor, à un de ses fils, avant de se lier d’une amitié profonde pour la dynastie des Ordoňez. Michel Leiris, écrivain majeur de la littérature française et également écrivain majeur de la tauromachie, éprouvera en 1938, en regardant le matador Rafaelillo Ponce, grand oncle de l’actuel Enrique Ponce, une véritable « révélation »  au sens religieux du terme comme il le confie à un ami nîmois: « je n’ai jamais trouvé, dans aucune œuvre artistique et littéraire, l’équivalent de ce que j’ai ressenti à Valence en voyant toréer Rafaelillo  [je sais que de ma vie je n’avais éprouvé quelque chose de semblable. »  (lettre à André Castel, août 1938)

Rafaeillo et la tauromachie lui inspireront la même année un essai magistral Miroir de la tauromachie (traduit en espagnol par ¨Pedro Romero de Solis), le premier à avoir pensé et conceptualisé les enjeux de la corrida. Enfin, on ne peut ne peux achever ce bref panorama, sans mentionner le nom de Picasso, l’exilé espagnol qui a fait entrer la corrida de plain pied dans le patrimoine culturel mondial. On le sait, Picasso écrivit un livre à deux mains avec son ami Dominguin « Toros y Toreros ». Encore aujourd’hui un poète français de talent Yves Charnet a publié un beau livre sur  le matador Juan Bautista.

Qu’est-ce qui dans la pratique tauromachique a pu attirér tous ces gens de culture, inspirér et nourrir  leurs œuvres plastiques,  littéraires ou philosophiques ? 

La corrida travaille avec l’espace et le temps. Son caractère éphémère a donc trouvé un nécessaire relais dans les disciplines susceptibles de la prendre comme objet, peinture ou littérature. Les autres arts lui ont donc permis de s’assurer une pérennité, refusée par son impermanence, et cela dès ses origines où ni la photographie ni le cinéma ne pouvaient en conserver les traces. Et il n’est pas anodin que les premières images fixées sur la pellicule par les inventeurs du cinéma, les frères Lumière, soient précisément des images de corrida, ni que Théophile Gautier, grand chroniqueur des courses de taureaux madrilènes au début du XIX° siècle, ait emporté avec lui des plaques de daguerréotype, un des premiers procédés photographiques. Si ces plaques n’avaient pas malheureusement fondu sous le soleil tras los montes, nous aurions eu ainsi les premières photographies taurines.

Mais cette fonction de « fixateur » ne suffit pas à expliquer le lien organique qui lie la tauromachie aux autres arts. Après tout la danse, ou tout autre pratique vivante promise à la disparition aussitôt qu’accomplie, n’ont pas rencontré le même sort.

C’est qu’en réalité, comme l’a magistralement analysé Michel Leiris, la tauromachie « art majeur » selon ses propres termes, offre un « miroir »,  non seulement de tout ce qui se joue pour nous dans la vie, mais également  dans l’art : faire œuvre avec la mort, contre elle, extraire du matériau brut, le toro, des figures esthétiques mouvantes et émouvantes : n’est-ce pas l’acte artistique par excellence ? Pour Leiris, le matador doit être  l’alter ego héroïque et le modèle du créateur qui doit s’engager tout entier dans son art, sans tricher ni enjoliver gratuitement. Son texte fameux  « De la littérature considérée comme une tauromachie » est devenu un programme incontournable pour tout autobiographe qui doit écrire sa vie, sans tricher, en se mettant lui-même en danger, mais aussi en séduisant son lecteur par son style.

La tauromachie est également  un élément de culture parce qu’elle est métaphore de notre condition, et métaphore très riche car elle a pu servir de support à bien des œuvres dont elle traduit le sens profond. Pour ne s’en référer qu’à l’œuvre de Picasso, elle est traitée dans sa dimension métaphorique en motif obsessionnel, depuis les années vingt jusqu’après la guerre. Revenu aux arènes dans le Midi de la France où il s’installe définitivement, après des années d’absence pour cause de guerres ( guerre civile d’Espagne et seconde guerre mondiale), sans pouvoir revenir dons son pays natal dont il refusera d’abandonner la nationalité à cause de l’ostracisme dont Franco l’a frappé, il tentera de rivaliser avec la corrida dans ses propres modalités plastiques : saisie fulgurante de sa réalité sans reprise possible du trait, tentative de travailler avec le temps comme le matador grâce à des supports nouveaux qui ne permettent aucun recours, comme dans la céramique, la linogravure, l’aquatinte et contrairement à la peinture à l’huile.

De la légalité de la corrida à sa légitimité culturelle

Si donc la légitimité culturelle de la corrida n’est plus à démontrer, il faudrait préciser que la culture dont elle participe n’est pas à restreindre à son sens qui désigne un ensemble de coutumes et de modes de vie propres à un groupe, mais à y inclure son sens le plus large, le plus noble, celui qui renvoie à un enrichissement de l'esprit, qui s’oppose à la barbarie au nom de laquelle ses adversaires voudraient réduire la corrida de façon abusive et intolérable… Par ailleurs, si Francis Wolff, avec quelques autres dont Pedro Romero de Solis ou François Zumbiehl et moi-même,  avons fondé l’association SUERTE( Sociedad de Estudios y des Reflexiones universitaria sobre la Tauromaquia Europea) en décembre 2001 à Séville à l’issue d’un colloque organisé dans la Maestranza même, - tout un symbole -, c’est en partie pour apporter la caution du monde universitaire à la pratique tauromachique et prouver ainsi qu’elle reste un objet majeur d’études dans toutes les disciplines, qu’on soit aficionado ou pas…

Revenons à Nîmes : en 1945, le premier geste pour fédérer les citoyens déchirés par la guerre et célébrer le retour vers la lumière et la joie fut précisément d’organiser une corrida, cette « fête du courage » chantée dans  Carmen et par laquelle elle est désignée en Espagne (« fiesta brava »). La mise à mort ritualisée de six taureaux sous le plein soleil de la paix retrouvée se substitua  à la mise à mort sauvage de millions d’hommes dans l’arène européenne et les ténèbres de la guerre. Oui, la corrida est bien un élément civilisateur, fédérateur et à ce titre, en quoi serait-elle plus condamnable que la mise à mort dans les abattoirs de millions d’animaux pour fournir en excès et sans nécessité vitale de la viande à manger ??

Si les abolitionnistes s’expriment au nom d’une certaine sensibilité (une incapacité à voir souffrir un animal),  de quel droit pourrait-il l’invoquer pour en faire une loi d’interdiction de la corrida ?  En quoi  leur position serait-elle plus morale que celle des aficionados venus apprendre à l’école de la corrida le sens du courage et du « pundonor », s’émouvoir de sa beauté soumise à des règles éthiques?  Dans  les commentaires nauséabonds déversés sur internet pat certains anti-taurins à l’annonce de la blessure grave de José Tomas, on reconnaît une haine certaine, irréductible, doublée d’une empathie névrotique avec l’animal plutôt qu’avec l’homme. Si donc le taureau permet la réunion et même la communion de plusieurs milliers de personnes dans une même enceinte, de tout horizon géographique ou social, s’il permet à quelqu’un avec son seul courage et sa seule technique de devenir un héros, alors la tauromachie  relève bien d’un humanisme, et non de cet animalisme des anti-taurins, fait de zoolâtrie, de misanthropie et de méconnaissance profonde du monde animal comme des règles tauromachiques…

En décembre 1938, Michel Leiris, militant infatigable des droits de l’homme qui légua tous sa fortune (conséquente) à différentes associations humanitaires ou philanthropiques, qui présente le visage sans compromission d’un humanisme actif, affirme ainsi à un autre écrivain français, Maurice Heine, qui condamnait  la tauromachie : «la corrida est une des  rares choses qui vaillent la peine d’être défendue. »  Oui, la légitimité culturelle de la corrida doit participer à fonder le droit à son expression.