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Colloque Seville - 23-  25 septembre 2011

affiche seville


Monsieur le Président de l’Illustre Collège des Avocats, vous me faites un grand honneur en m’invitant à ces Troisièmes Rencontres Internationales de Droit Taurin dans cette belle ville de  Séville.

Je dois ce terrible honneur à Maitre Emmanuel Durand, grand animateur de votre assemblée. En 2002, à Nîmes, nous débâtions entre chirurgiens sur le thème « Plaie par balle, plaie par corne de taureau, y a t’il des analogies ? ». Je l’avais invité à nous parler des problèmes juridiques de Responsabilité Civile Professionnelle de l’exercice de la Chirurgie Taurine. Cher Emmanuel, je comprends mieux aujourd’hui l’embarras dans lequel je vous ai mis.

Faire parler un avocat dans un congrès de chirurgiens.

Cher Emmanuel, je vous remercie vraiment du fond du cœur de me rendre l’invitation et de l’embarras dans lequel vous me mettez.

« Faire parler un chirurgien devant une assemblée de juriste. » Quasiment un tribunal !

Avant de donner mon accord, je me renseigne.

Quels sont les usages chez les avocats? Quel est leur raisonnement ? Quelle est leur rhétorique ? Autrement dit : comment dois-je m’y prendre ?

Je demande à Maitre Bernard Durand, le papa d’Emmanuel, grand avocat, ancien Bâtonnier du barreau de Nîmes et homme de très grande culture.

Il me répond en toute simplicité :

- « Docteur, en Droit, on peut prouver Tout et son Contraire »

A mon tour de lui demander :

- « On peut prouver que le Vrai est Faux et que le Faux et Vrai ? »

- « En Droit, c’est possible ».

- « En même temps ? »

- « Non, l’un après l’autre. »

Vous comprenez mon embarras.

Dans la pensée médicale qui est la mienne il y fracture du fémur ou il n’y a pas ; il ya plaie pénétrante de l’abdomen, ou il n’y a pas. Mais il ne peut y avoir fracture et son contraire, plaie pénétrante et son contraire.

Néanmoins j’accepte le défi : « je serai un chirurgien parmi les avocats et les juristes ».

Quel est le sujet demandé :

Le secret médical et le droit à l’intimité du torero blessé dans le ruedo.

Nous siégeons à deux chirurgiens à cette tribune : le Docteur Ramon Villa, chirurgien de la Maestranza  et moi-même chirurgien des arènes de Nîmes.

Comme je m’occupe principalement de la place de taureaux de Nîmes, je vais limiter mon propos aux perspectives françaises, laissant le Docteur Ramon Villa parler des perspectives espagnoles.

Les hommes politiques, les artistes de spectacle, les sportifs de haut niveau sont des hommes publics. Nous respectons volontiers leur vie privée et leurs problèmes de santé.

Le torero est un homme public différent.

Certes nous respectons sa vie privée. Mais quand il est blessé dans les arènes, il est blessé en public, devant des milliers de regards. Ceci est un cas très particulier qui nous confronte, nous autres professionnels médicaux du Mundillo, au problème du secret médical et au droit à l’intimité d’un homme public victime d’un accident en public.

S’interroger sur ces problèmes revient à poser la question :

La vie publique du torero s’arrête t’elle à la porte de l’infirmerie ?

Avant de répondre à cette question, je voudrais évoquer avec vous les textes réglementaires sur lesquels je vais appuyer mon argumentation. J’évoquerai successivement les textes constitutifs, les textes réglementaires, la jurisprudence, le code de déontologie des Médecins et le Serment d’Hippocrate.

La Constitution Française n’évoque aucun texte relatif à la vie privée ou au secret médical. Par contre, la France a signé la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. L’article 8 précise : «  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Les textes législatifs du Code Civil, du Code Pénal, du Code de la Santé Publique… Ce sont vos outils de travail quotidiens. Vous les connaissez mieux que moi. Je n’évoque que l’article 9 du Code Civil voté par la loi du 17 juillet 1990 : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Il n’y a pas de définition législative de ce droit. Néanmoins, il est admis d’entendre par droit : «  le droit pour une personne d'être libre de mener sa propre existence avec le minimum d'ingérences extérieures ", ce droit comportant " la protection contre toute atteinte portée au droit au nom, à l'image, à la voix, à l'intimité, à l'honneur et à la réputation, à l'oubli, à sa propre biographie ". Dans tous ces textes, aucune allusion directe n’est faite au cas particulier de l’homme public, de l’artiste de spectacle ou du torero.

La jurisprudence.

En France, aucun livre ne parle de jurisprudence en matière de Tauromachie.

Emmanuel de Monredon dans son livre « La corrida par le Droit » évoque le statut d’assuré social du torero. Il n’évoque pas les droits du torero blessé.

En Espagne, le livre de Lorenzo Clemente Naranjo, La Tauromaquia a Través se sus conflictos, Jurisprudenci Taurina, évoque la diffusion des images de Paquirri dans l’infirmerie de Pozoblanco et tous les problèmes juridiques engendrés.

Le Code Déontologie des Médecins. En France, il comporte 112 articles en 5 chapitres. Je crois savoir que le Code de Déontologie des Médecins espagnols est plus court avec 41 articles.

Le Code de Déontologie est institué dans l’intérêt des malades. Il s’impose aux médecins dans les conditions établies par la loi dans le cadre du Code de Santé Publique.

Le secret médical des professionnels est réglementé par l’article 4.

« Il n’y a pas de soins sans confidence, de confidence sans confiance, de confiance sans secret ».

Le serment d’Hippocrate. Chaque médecin français termine ses études et s’engage dans la vie professionnelle en soutenant une thèse et en prêtant serment sur un texte d’Hippocrate. Je rappelle brièvement : Hippocrate de Cos, né en l’an 460 avant Jésus-Christ et mort à l’âge de 109 ans ou 112ans, médecin grec, est considéré comme le « Père de la Médecine ».

Le livre « La Collection Hippocratique » contient des textes d’Hippocrate, de ses fils, de son gendre et de ses élèves. Des extraits servent à ce serment. « Je jure par Apollon, médecin, Esculape, Hygéia et Panakéia, »…etc.

Ce serment est le guide moral de l’exercice de la Médecine.

En Espagne, vous connaissez je crois la Prière de Maimonide.

Moïse Ibn Maïmoun, le Cordouan, né en 1135 et mort en 1204 médecin, philosophe.

Chers collègues, je vais m’essayer à l’art de la plaidoirie. Je vous demande par avance votre indulgence. Cet exercice vous est coutumier. Pas pour moi.

Permettez-moi de sacrifier au rituel qui débute le troisième tiers.

« Senior présidente, con su permiso. »

Je vais plaider de façon très académique à charge et à décharge.

La vie publique s’arrête t’elle à la porte de l’infirmerie.

OUI. Bien sur.

L’infirmerie, la clinique, l’hôpital ne sont pas des lieux publics.

Les problèmes traités font partie de l’intime de la personne.

Le serment d’Hippocrate est formel.

« Quoi que je voie ou j’entende dans la société pendant l’exercice ou même hors de l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a pas besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas ».

Il n’ya pas de place à une dérogation

Le code de déontologie est tout aussi formel. Rien ne doit être révéler de ce que le médecin constate. Il existe des cas de dérogation : la naissance, le décès, les maladies contagieuses, les maltraitances, … Ces dérogations sont bien précisés par le code de la Santé publique. La tauromachie n’est pas reconnue comme dérogation, je peux vous le certifier.

L'article 9 du code civil dispose que " chacun a droit au respect de sa vie privée ". Et on peut entendre comme vie privée : « l'état de santé, la vie sentimentale, l'image, la pratique religieuse, les relations familiales et, plus généralement, tout ce qui relève du comportement intime ».

D’un point de vue purement juridique, la vie public du torero s’arrête bien à la porte de l’infirmerie et rien de ce qui y est constaté ne doit être révéler. On peut en conclure qu’aucun élément connu, découvert, appris à l’intérieur de l’infirmerie des arènes ne doit être divulgué. La vie publique du torero s’arrête bien à la porte de l’infirmerie.

Instruisons à décharge.

Comment faire lorsque les spectateurs de l’arène ont assisté en direct à l’accident, savent par le sang qui s’écoule qu’il y a une cornada, voient le torero se diriger vers l’infirmerie et entendent le son de la sirène de l’ambulance, comment faire pour ne rien dire ? L’inquiétude du public est très forte, à juste titre. Et il semble impossible, ou du moins très difficile de les maintenir dans une ignorance opaque. En Espagne, il semble admis de publier « uno parte facultativo », un bulletin de santé. Celui-ci est le plus souvent concis, suffisamment clair sans rentrer dans les détails, en prononçant un pronostic qui laisse des réserves de précaution. En France, une tolérance existe pour la publication du bulletin de santé en admettant que le médecin agisse comme un expert expliquant les conséquences de la cornada survenue en public Il est admis que la légitime inquiétude du public doit être rassurée par des propos explicatifs du domaine professionnel, sans entrer dans le domaine privé du torero. Comme souvent, la tolérance se base sur « le tact et la mesure », s’appuie sur un des principes fondamentaux de l’exercice médical « Primum, non nocere ». Ce qui pourrait être reproché au personnel médical qui dévoilerait en dehors de l’infirmerie des faits médicaux, ce n’est pas tant la trahison d’un secret médical, que le fait d’en faire un élément de publicité pour sa propre personne.

Comment faire lorsque le toréro, lui même, autorise et favorise la diffusion d’éléments concernant son état de santé. Ceci est particulièrement vrai pour les images dont notre période est friande et dont les moyens de communications modernes autorisent une large diffusion. Les images tournées par une caméra vidéo dans l’infirmerie des arènes de Pozoblanco, le 26 septembre 1984, lors de l’accident mortel de Paquirri face au taureau « Avispado », en sont un exemple. Interdites à la diffusion dans un premier temps, elles ont ensuite été divulguées par une autorisation de la Cour Suprème de Justice espagnole, argumentant sur : «  -les personnes qui exercent une profession de caractère public ont droit à la protection de leur intimité mais la protection de leur image cesse quand celle-ci est fixée au cours d'une activité professionnelle ou dans un lieu public ; 

- le caractère public du spectacle ne s'arrête pas au moment où le torero est blessé et les images obtenues à l'infirmerie des arènes ne constituent que la suite du spectacle public. » Plus récemment juan José Padilla, torero espagnol, a autorisé la publication d’un film montrant son intervention chirurgicale.

Il n’est pas très facile de répondre catégoriquement à la question posée par le secret médical et le droit à l’image du torero blessé dans le ruedo. Tout est dans la nuance. Et c’est dans cette notion de nuance que se retrouvent les « Gens de Droit » et les « Gens de Médecine ». D’où la nécessité de la confrontation et de l’échange des idées. D’où la nécessite des « Colloques de Droit Taurin ». Ce sera là ma conclusion.