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Colloque Nîmes - 17 - 20 septembre 2009

Colloque Nîmes


Monsieur le Président,

Permettez-moi, avant d’aborder le thème qui m’est imparti, de remercier très chaleureusement les organisateurs de leur invitation : pour un Professeur de droit aficionado, exilé sur une terre lointaine où les combats de coqs sont plus fréquents que les courses de toros, c’est un véritable plaisir et un grand honneur que de participer à ces rencontres.

La question de l’utilité de la loi, ou du droit, est une question aussi ancienne que débattue. Les meilleurs esprits méditerranéens s’y sont d’ailleurs frottés pour aboutir à des conclusions inverses. D’un côté, Portalis, père du Code civil, pense que les lois sont nécessaires à toute activité humaine. Il écrit alors dans son discours préliminaire au Code civil que « de bonnes lois civiles sont le plus grand bien que les hommes puissent donner et recevoir ». D’un autre côté, le Marquis de Sade estime au contraire qu’elles ne servent à rien : « C’est en vain que les lois veulent rétablir l’ordre et ramener les hommes à la vertu : trop vicieuses pour entreprendre, trop imbéciles pour y réussir, elles écarteront un instant du chemin battu, mais elle ne le feront jamais quitter »[1]. Tout a déjà été écrit sur l’utilité ou l’inutilité du droit.

Y a-t-il, alors, un particularisme taurin en la matière ? La loi est-elle utile ou inutile à la tauromachie ? Encore faut-il bien préciser quelle peut être, pour reprendre l’intitulé général de notre rencontre, la part du droit en tauromachie.

L’émotion créée par le combat de l’homme et du taureau n’a que faire du droit. On n’a pas besoin d’être un expert du Code civil ou un exégète du règlement taurin pour apprécier une véronique à la lenteur irréelle ou encore une naturelle, la main si basse qu’elle paraît toucher le sable. Ces instants magiques n’ont pas besoin de droit. Ils relèvent de l’émotion pure. Ils se gravent à jamais dans la rétine, ils marquent un instant hors du temps, hors des hommes, hors des normes, hors  du droit. Ainsi approchée, la tauromachie n’a pas besoin de droit parce qu’elle est avant tout une émotion personnelle, un émoi individuel. Comme l’amour, la tauromachie est enfant de bohême qui n’a jamais connu de loi. 

Mais la tauromachie n’est pas qu’émotion. Elle est également un tissu de relations entre les hommes. Le droit trouve alors nécessairement, naturellement  sa place pour organiser ces relations. Le constat n’est pas neuf et les Romains savaient que « ubi societas, ibi jus », là où il y a une société, c’est-à-dire altérité, il y a du droit. On voit ainsi se dessiner le domaine du droit dans la tauromachie. Le droit va organiser les relations que la tauromachie, comme toute activité humaine, fait naître.

Encore faut-il préciser quelles sont ces relations et quelle est la nature du droit applicable. Quelles relations ?, quel droit ? voilà les deux interrogations qui guideront notre chemin.

I. - Quelles relations ?

La tauromachie fait naître de très nombreuses relations. Certaines ont déjà leur droit. D’autres sont en attente de droit.

A. - Les relations qui font déjà l’objet de réglementations sont les plus nombreuses. La vente d’un animal, son transport, son assurance ; le contrat d’engagement d’un matador et de sa cuadrilla qui hésite entre contrat de travail et contrat d’entreprise ; la vente de billet au public qui pourrait être soumise de la consommation ; les règles comptables et financières s’appliquant aux régies municipales… Toutes ces relations sont encadrées par la loi. Sans que l’on puisse parler d’une particularité du droit taurin, il existe un corps de règles qui s’applique à l’activité tauromachique. Le droit est alors omniprésent.

B. – Mais il existe une relation qui est peu réglementée. C’est pourtant la plus polémique. C’est la relation qui unit, ou plutôt qui oppose, les défenseurs aux opposants de la corrida. Actuellement, la corrida bénéficie d’une immunité légale qui la fait échapper à l’infraction de mauvais traitements aux animaux, pourvu qu’elle se déroule dans une région de tradition locale ininterrompue. La loi ne fixe pas cette notion et renvoie au juge le soin d’en définir les termes.

Faut-il alors aller plus loin ? faut-il penser qu’une loi est nécessaire pour encadrer les relations entre les anti et les pro corridas ? En d’autres termes, faut-il une loi pour autoriser expressément la corrida dans certaines régions ?

Une intervention législative a pour elle de solides arguments : notre société vit en effet sous l’emprise des lois et la crainte d’un vide législatif suffit à elle seule à légitimer une intervention législative. La loi est présentée comme le remède à tous les maux. En l’espèce on peut penser qu’une loi aurait le mérite de fixer, une fois pour toutes, les endroits où il est possible d’organiser des courses de taureaux.

Il ne faut pourtant pas se duper d’une intervention législative. Carbonnier s’interoogeait déjà : « toute loi en soi est-elle un mal ? »[2]. La loi ne suffit pas à régler tous les problèmes. Les juristes que nous sommes connaissent trop bien les délices de l’interprétation pour savoir que si un texte venait à être posé, chacun de ses mots serait pesé, analysé… sans garantie de résultat. Pour se convaincre du rôle de l’interprétation, on peut prendre comme exemple l’interprétation que reçut au XIXème siècle, la loi Gramont.

Cette loi, votée en 1850, punissait celui qui avait exercé « abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques ». Elle avait été votée pour punir ceux qui maltraitaient les animaux sur la voie publique (essentiellement les cochers), pas pour interdire la corrida. Un siècle d’interprétation de cette loi ont conduit, tantôt à l’application, tantôt à l’inapplication du texte aux corridas. Mais chaque mot fut discuté.

Un premier débat porta sur la qualification du toro de combat : est-il ou non un animal domestique ? Le Tribunal de simple police de Bayonne, dans un jugement  aux accents virgiliens, avait jugé que le toro « est un animal vivant à l’état sauvage, loin de l’homme et de toute habitation, dans d’immenses espaces déserts ; on les laisse en ces lieux, abandonnés à leur férocité native, jusqu’au ojur où ils seront capturés »[3]. La Cour de cassation avait pourtant fini par admettre que le toro était un animal domestique[4], la domesticité résultant, non de la férocité naturelle de l’animal, mais du fait qu’il est élevé sous la surveillance de l’homme.

Un autre débat porta sur l’adverbe « abusivement ». Le combat de toro est-il abusif ?  Pour certaines juridictions, l’abus résultait de violence même du combat. Ainsi, le Tribunal de Police de Limoges jugea que les toros étaient «déchirés et mis à mort » pour dire que les traitements qui leur étaient infligés étaient abusifs[5]. D’autres décisions avaient au contraire cherché à justifier la souffrance de l’animal. Ainsi, relevant que les profits d’une course étaient reversés à des ouvres de bienfaisance, le tribunal de Police de Bayonne avait jugé que « le résultat escompté et obtenu, qui a permis de soulager de nombreuses misères et souffrances humaines justifie, semble-t-il, le sacrifice de six taureaux fortement prévenus contre l’homme » avant de préciser que « ce spectacle a procuré un plaisir aux nombreux amateurs appartenant à toutes les classes et conditions sociales »[6].

On mesure à travers ces exemples historiques que le vote d’une loi ne règlerait sans doute rien. Les anti-corridas proposeraient des interprétations restrictives, les pro des interprétations extensives. J’ai donc tendance à penser qu’une loi reste inutile pour encadrer ces relations. Après avoir survolé les relations réglementées et celles qui s’épanouissaient sans loi, reste à se demander quel est le droit applicable à ces relations.

II. – Quel droit ?

Le néophyte pense souvent que le droit, c’est la loi. La loi votée par le Parlement, expression de la volonté générale. Le juriste sait pourtant que le droit ne s’épuise pas dans la loi, fort heureusement. Il distingue du droit supra-législatif  (au-dessus de la loi)- et du droit infra-législatif (en dessous de la loi). Cette distinction vaut également pour l’encadrement des relations que fait naître la tauromachie.

A. - Le droit supra-législatif est essentiellement composé du droit communautaire ou européen. Le juriste a longtemps vécu avec la loi nationale comme seul horizon. Le droit applicable en France n’était constitué que des textes votés dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Il ne serait venu à personne l’idée que put s’appliquer en France un texte « venu d’ailleurs » pour reprendre la célèbre expression de Carbonnier. Aujourd’hui, la plupart des textes applicables s’inspirent de règlements ou de directives communautaires. Les particularismes locaux, les traditions nationales sont souvent balayés au profit d’une législation pointilleuse, aseptisée et technocratique. On pourrait certes penser que la réglementation de la corrida est suffisamment étrangère à l’érection d’un marché commun ou d’une union européenne pour être tenue à l’abri du droit bruxellois ou strasbourgeois. Méfiance !!! Les exemples des dates de période chasse, des Associations Communales de Chasse agréée ou des conditions du gavage des oies sont suffisamment éloquents pour pouvoir penser que, tôt ou tard, la chose taurine sera appréhendée par l’Europe[7] A ce sujet, il convient de souligner un récent arrêt rendu par la CEDH. La Cour a estimé qu’on ne pouvait entraver la liberté d’expression des défenseurs des animaux dès lors que les questions débattues présentaient un intérêt général ou public (en l’espèce, l’élevage des porcs en batterie)[8]. La même juridiction avait auparavant estimé que n’était pas contraire aux bonnes mœurs le fait de saboter une partie de chasse au renard[9]. Ces deux décisions constituent un bréviaire des défenseurs de la cause animale : pour peu que la question taurine soit considérée comme une question d’intérêt public, on ne pourra  entraver la liberté d’expression des opposants à la corrida … même si les moyens employés (sabotage du spectacle, crevaison des pneus…) sont discutables. La Convention européenne des droits de l’homme vient au secours des « droits des animaux ».

L’aficion doit donc non seulement être présente sur le terrain national mais elle ne doit pas négliger le droit supra-législatif qui, tôt ou tard, se penchera sur la tauromachie.

B. - Le droit infra-législatif est tout aussi important. Il montre que le mundillo peut secréter son propre droit pour encadrer et organiser les relations auxquelles il donne naissance. Je veux ici parler du règlement de l’Union des Villes Taurines Françaises. Sans rentrer dans le débat sur sa nature juridique ou son caractère contraignant, on s’aperçoit que cette réglementation particulière est parfois évoquée par les juges du fond pour apprécier la légalité ou l’illégalité d’un spectacle taurin. Deux décisions peuvent être évoquées.

La première est un arrêt est rendu par la Cour d’appel de Nîmes le 1er décembre 2000. En l’espèce, le tribunal correctionnel avait condamné les organisateurs d’un spectacle taurin sur un terrain privé. Il avait alors relevé que les dispositions  du règlement taurin n’avaient pas été respectées (le maire n’avait pas donné son autorisation), d’où il résultait que le spectacle était illicite. Dans son arrêt, la Cour d’appel a considéré avec raison que le tribunal avait ajouté à loi une prescription qu’elle ne contenait pas. La course de taureaux n’étant pas définie par la loi, elle englobe aussi bien la course libre, la course landaise, la course portugaise ou la corrida. Le juge ne pouvait donc opérer de distinction entre ces différentes formes et condamner un spectacle pour la seule raison qu’il ne respectait pas le règlement UVTF[10]. On peut donc en déduire que le respect de cette réglementation d’ordre privée est indifférente à la constitution de l’infraction. Ce n’est pas parce que l’on ne respecte pas les dispositions du règlement taurin que l’on commet l’infraction de mauvais traitements aux animaux.

Le second arrêt est un arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 3 avril 2000. En l’espèce, une association avait saisi le juge des référés pour qu’il interdise la tenue d’un spectacle sans pique ni mise à mort en constatant qu’il n’y avait pas une tradition ininterrompue. Dans sa décision, la cour a jugé que seul le juge du fond était compétent pour se livrer à cette appréciation. Elle a ainsi jugé: « l’organisation de ce spectacle ne pouvait constituer un trouble manifestement illicite, qui seul pouvait justifier la saisine du juge des référés, aucun dommage imminent ne pouvant être invoqué d ès lors que les règles tauromachiques sont respectées »[11]. Le respect des règles tauromachiques apparaît ici comme neutralisant la possibilité d’un dommage imminent.

On mesure à travers ces deux solutions que l’existence de règles d’origine privée a une réelle influence sur la solution du litige. Plus que les règles qu’il contient, le règlement taurin participe à la légitimation du spectacle taurin. Il montre qu’il se déroule dans le respect de certaines normes et que la corrida n’est pas un monde chaotique. Il civilise la tauromachie.

*          *          *

En guise de conclusion, l’utilité de la loi en tauromachie est indéniable. Parce que la tauromachie est un tissu de relations, le droit a naturellement vocation à être présent. Ses formes sont néanmoins variables (textes communautaires, loi nationale, réglementation privée, tolérance).  Cependant, et nous sommes tous convaincus, l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est dans la beauté du spectacle, dans l’émotion qu’il produit. Que le droit soit présent, nul n’en doute ! que le droit reste invisible, chacun le souhaite.

 

Pr. Jean-Baptiste Seube

Doyen de la Faculté de droit et d’économie de La Réunion

 


[1] DAF de Sade, Les infortunes de la vertu, Gallimard, La Pléiade, p. 163.

[2] J. Carbonnier, Essai sur les lois, Defrénois, 2ème éd., 1995, p. 315 et s., spéc. p. 331.

[3] Trib. Simple Police Bayonne, 6 octobre 1894, longuement cité dans le rapport Accarias préc.

[4] Cass. crim., 16 février 1895, D. 1895, I, 269, rapp. Accarias.

[5] Trib. Police Limoges 12 août 1895, D. 1896, 2, 13.

[6] Trib. Simple police Bayonne, 9 août 1950, D. 1950, p. 671, note P. Mimin.

[7] Par exemple, l’article 30-3 du règlement UVTF prévoit que la préférence sera donnée à un matador français en cas d’empêchement d’un matador initialement prévu au cartel. Un communautariste convaincu pourrait estimer que cette disposition est contraire au principe de la liberté de circulation et d’établissement des travailleurs.

[8] CEDH, 30 juin 2009, Revue de droit animalier, 2009/1, p. 14 et s. note J.-P. Marguenaud.

[9] CEDH, 25 novembre 1999, Hasman et Harrup/Royaume Uni.

[10] CA Nîmes, 1er décembre 2000, JCP 2002, éd. G, II, 10016, note E. de Monredon.

[11] CA Toulouse, 3 avril 2000, JCP 2000, éd. G, II, 10390, note P. Deumier.